

Remous autour d'un buste attribué à Donatello en Slovaquie
Le buste, ornant un manoir slovaque, était tombé dans l'oubli dans la tourmente de la Seconde guerre mondiale. Jusqu'à ce qu'il soit attribué à Donatello et placé sous protection par le gouvernement nationaliste, suscitant l'inquiétude du monde culturel.
L'historienne Marta Herucova se souvient de sa première rencontre avec cette oeuvre en marbre, dormant dans les réserves du musée Spis à Levoca, dans l'est du pays.
"Cela faisait des années que je travaillais sur l'ensemble de la collection, examinant pièce après pièce, et ce fut au tour du buste", raconte-t-elle à l'AFP.
Enregistré sous la lettre N (pour "neznamy autor", signifiant auteur inconnu) dans la catégorie 19e siècle, il porte l'inscription latine "OPVS DONATELLI" et représente la noble italienne Cécile de Gonzague, contemporaine du maître de la Renaissance.
Intriguée, Mme Herucova mène de plus amples recherches sur la sculpture et conclut que "son style, son matériau et la personne représentée correspondent à une œuvre qui pourrait en théorie avoir été réalisée par Donatello" (1386-1466).
"Il existe des liens avérés entre lui et la famille des Gonzague, ainsi qu'entre les Gonzague et les derniers propriétaires du buste", les Csaky, écrit-elle dans un article diffusé en 2021 dans la Revue française de l'Art.
Aucune contestation n'ayant été émise par ses pairs européens, la découverte a été rendue publique en février dans le pays d'Europe centrale de 5,4 millions d'habitants.
- "Seconde spoliation" -
Il aura donc fallu 80 ans pour sortir ce buste de l'anonymat dans lequel l'a plongé la fuite à Vienne de la famille Csaky. En 1945, elle quitte tout devant l'avancée des troupes soviétiques et laisse le précieux objet derrière elle.
La demeure est alors occupée par les soldats et transformée sous le communisme en orphelinat, avant de devenir un centre éducatif où les jeunes filles s'amusaient avec la sculpture, soulignant même les paupières à l'encre bleue, raconte Peter Cizmar, le fils d'un ancien employé.
Le comte Moritz Csaky avait 11 ans quand il s'est réfugié en Autriche. S'il ne connaît pas son origine, il se souvient du fameux buste placé dans la loggia où se tenaient les dîners l'été, flanqué de deux statues gothiques.
L'oeuvre devait être présentée à la presse en avril par le musée mais le rendez-vous a été annulé au dernier moment. Et à la surprise générale, le gouvernement l'a transférée dans un endroit d'abord tenu secret.
"Elle n'est pas la propriété de l'Etat" et ne doit pas "faire l'objet de jeux politiques", a-t-il averti lundi dans un communiqué diffusé par un collectif d'acteurs du secteur culturel, également inquiets du sort de la statue.
"Ma famille ne revendique pas sa restitution" mais "j'espère qu'elle ne sera pas victime d'une seconde spoliation et qu'elle retrouvera une place digne et honorable au musée de Spis", a-t-il poursuivi.
- "En sécurité" -
La pièce "est en sécurité, sous la garde de la police", assure de son côté le ministère de la Culture, promettant de l'exposer au public "une fois les conditions réunies".
Face aux critiques, il rejette "toute accusation d'action arbitraire ou illégale", estimant que des mesures plus strictes de protection auraient dû être prises bien avant.
Le nouveau lieu a finalement été révélé: le buste se trouve dans un bâtiment du ministère de l'Intérieur à Topolcianky, dans le centre du pays.
Marta Herucova met en garde les autorités contre toute opération de restauration qui lui ferait perdre "sa patine". "Nous n'avons ni l'expérience ni la technique" en Slovaquie, insiste-t-elle.
Si son authenticité est confirmée, il s'agirait de la huitième oeuvre signée de Donatello dans le monde.
Marta Herucova, elle-même prudente, espère qu'une collaboration avec des experts internationaux permettra de corroborer ses dires.
Pour l'heure, les recherches ont été stoppées du fait de la valse des directeurs d'institutions et du gel des fonds décidés par la très critiquée ministre de la Culture d'extrême droite Martina Simkovicova.
Maria Novotna, ex-directrice du musée Spis présente quand la statue est arrivée en 1975, passant alors inaperçue, n'aurait jamais pensé qu'un Donatello se trouve en Slovaquie.
"Ce n'est pas tous les jours" qu'on découvre une oeuvre d'une telle importance historique, s'enthousiasme-t-elle.
A.Pohl--NRZ