

Indésirables en Afghanistan et au Pakistan, elles s'accrochent à leur guitare
Dans leur logement au Pakistan, elles chuchotent, de peur qu'on entende leur langue, le dari afghan. Pourtant, à l'heure qu'il est, elles pensaient chanter à tue-tête du Bob Dylan à New York.
Shayma et sa soeur Laylama, 15 et 16 ans, ont fui l'Afghanistan en 2022, un an après le retour au pouvoir des talibans. Elle devaient décoller en février dernier d'Islamabad pour trouver l'asile aux Etats-Unis.
Mais alors que les valises étaient prêtes, le président Donald Trump a gelé ce programme d'accueil, les laissant, comme 15.000 autres Afghans, sans solution.
Et ce au moment même où le Pakistan a encore renforcé la pression sur les réfugiés afghans, multipliant les expulsions vers leur pays d'origine.
Depuis, même si elle se cache et témoigne sous pseudonyme, Shayma profite d'une de ses rares libertés au Pakistan: jouer de la musique.
"L'acoustique de la cuisine est super", lance-t-elle, souriante, encadrée par les trois autres élèves de son ancienne école de musique de Kaboul, qui ont elle aussi atterri au Pakistan.
Dans leur pays aujourd'hui, la musique est bannie et le père de Shayma a même brûlé sa guitare de peur qu'elle ne plonge la famille dans la tourmente en cas de descente policière.
- "Aucun avenir" -
L'Afghanistan des talibans est aussi l'unique pays au monde à interdire l'école aux filles après 12 ans. L'ONU estime que le pays vit désormais sous le régime d'un "apartheid de genre".
Tout retour est donc inenvisageable pour ces réfugiées. "On va tout faire pour se cacher parce qu'il n'y a aucun avenir en Afghanistan pour les filles comme nous", assure à l'AFP Zahra, 19 ans.
Avec Shayma, elle fréquentait la Miraculous Love Kids, une école de musique de Kaboul désormais fermée et dont les élèves sont dispersés entre Afghanistan, Pakistan et Etats-Unis.
Au Pakistan, ils sont des milliers d'Afghans en attente d'un visa qui ne viendra peut-être plus tant les frontières se referment à travers le monde.
Islamabad ne renouvelle plus leurs visas et, des haut-parleurs des mosquées, se multiplient les appels enjoignant aux Afghans de partir et à leurs voisins de les dénoncer.
Comme Shayma, Laylama et leurs amies, ne reste plus qu'une vie terrée dans des pensions d'Islamabad ou de Karachi, au Pendjab ou au Baloutchistan, dans la crainte d'une descente de police qui signifierait le retour forcé à la frontière.
"On n'est pas un camp de transit à durée illimitée", justifie, sous couvert d'anonymat, un officiel pakistanais.
"Nous avons donné plusieurs dates butoirs et elles n'ont pas été respectées", dit-il, exhortant les capitales étrangères à faire décoller au plus vite les Afghans en attente de visas.
Comme ses amies, Yasmine, compte sur la guitare pour l'aider à tenir, après avoir déjà dû changer quatre fois de logement par crainte d'être arrêtée et expulsée.
- Coldplay plutôt que les talibans-
"Nous voulons que notre musique serve à ceux qui n'ont pas de voix, particulièrement les Afghanes", dit cette musicienne qui a collaboré en ligne avec Brian Wilson, des Beach Boys, ou la chanteuse australienne Sia.
Pour Jessica Bradley Rushing, qui milite pour que les Etats-Unis reprennent leur programme d'asile, "laisser ces réfugiés dans le flou n'est pas seulement arbitraire, c'est aussi cruel".
Pour des experts, Islamabad utilise ces réfugiés comme levier face au désengagement des Occidentaux de la région, alors que le pays vit sous perfusion du Fonds monétaire international (FMI).
La campagne d'expulsion vise "non seulement à faire pression sur les autorités talibanes mais aussi à prouver à la communauté internationale que le Pakistan est déterminé", décrypte pour l'AFP Ibraheem Bahiss, de l'International Crisis Group.
En attendant, les musiciennes de la Miraculous Love Kids continuent de chanter entre leurs quatre murs Coldplay ou Imagine Dragons, tout en perfectionnant leur anglais sur YouTube ou avec des livres.
"Ce n'est pas normal d'être toujours à l'intérieur, surtout pour des jeunes", se lamente Zahra.
"Mais retourner en Afghanistan? C'est trop horrible."
N.Singer--NRZ