

Production de terres rares hors de Chine: quels sont les enjeux?
Une société minière australienne a annoncé la semaine dernière avoir produit des terres rares lourdes pour la première fois hors de Chine, une étape clé pour la diversification d'une chaîne d'approvisionnement cruciale pour de nombreux secteurs.
L'annonce de l'entreprise Lynas Rare Earths révèle également les difficultés à trouver de nouveaux fournisseurs de ces matériaux devenus indispensables aux industries de l'électronique, des énergies renouvelables ou de l'armement.
Que sont les terres rares ?
Les éléments de terres rares sont au nombre de 17. Il s'agit de métaux utilisés dans une large variété de produits tels que les smartphones, les turbines des éoliennes ou les véhicules électriques.
Le néodyme et le dysprosium, parmi les éléments les plus recherchés, permettent de fabriquer de puissants aimants servant à propulser les voitures électriques et les turbines des éoliennes en mer.
Malgré leur nom, les terres rares sont en fait relativement abondantes dans la couche terrestre. On les décrit comme "rares" car il est inhabituel de les trouver dans leur forme pure.
Les terres rares lourdes, un sous-ensemble des terres rares, avec une masse atomique plus élevée, sont généralement moins abondantes et considérées comme plus précieuses.
La Chine domine les chaînes d'approvisionnement mondiales en terres rares, comptant pour plus de 60% de leur extraction minière et 92% de la production de produits raffinés, selon l'Agence internationale de l'énergie.
Qu'a réussi à faire Lynas ?
Lynas Rare Earths a annoncé avoir commencé à produire de l'oxyde de dysprosium en Malaisie, offrant pour la première fois aux clients intéressés des terres rares lourdes d'une provenance autre que chinoise.
L'entreprise prévoit de produire une autre terre rare lourde dans cette usine à partir de juin, le terbium: un matériau utilisé pour les aimants permanents et certaines ampoules.
Il s'agit d'"une étape importante", souligne Neha Mukherjee, analyste des matières premières chez Benchmark Mineral Intelligence.
Cette annonce intervient au moment où les ressources en terres rares de la Chine sont au centre de sa guerre commerciale avec les Etats-Unis.
Pékin a restreint en avril les exportations de tungstène et de sept catégories de terres rares dans le cadre de sa riposte aux droits de douane punitifs imposés par le président Donald Trump sur les produits chinois. Reste à voir si la trêve de 90 jours conclue à propos des surtaxes douanières va affecter ces mesures.
"Dans ce contexte, Lynas représente un changement réel et opportun, même si cela n'élimine pas la nécessité de déployer des efforts de diversification plus vastes à l'échelle mondiale", note Mme Mukherjee.
Quelle quantité de terres rares ?
Lynas n'a pas précisé la quantité de dysprosium qu'elle a pu raffiner. Jon Hykawy, un expert des terres rares, avertit que l'entreprise devra de toute façon faire face à des contraintes.
"Le minerai extrait par Lynas contient relativement peu de terres rares, de sorte que les tonnages produits ne peuvent pas être très importants", relève M. Hykawy, président de Stormcrow Capital.
"Même avec la production de Lynas, la Chine restera en position dominante" dans les terres rares, ajoute Gavin Wendt, directeur de MineLife.
"Dans tous les cas, c'est un début. Il est essentiel que d'autres projets possibles aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil, en Europe et en Asie prouvent leur faisabilité technique et puissent être approuvés, afin que l'équilibre de l'offre puisse réellement commencer à changer", dit-il.
Comment diversifier ?
La domination de la Chine dans le secteur est en partie le résultat d'une politique industrielle de long terme.
Elle a été permise par l'exploitation in situ, une technique d'extraction bon marché mais polluante, possible en Chine mais difficile à mettre en place dans les pays où les normes environnementales sont plus strictes.
Pour ces pays, "la production est plus chère, ils ont donc besoin que les prix augmentent pour faire le moindre profit vraiment intéressant", indique M. Hykawy.
Mais faute d'une hausse de prix ces derniers mois, "la plupart des projets non chinois auraient du mal à atteindre le seuil de rentabilité", note Mme Mukherjee.
Des défis techniques existent également. Le traitement des terres rares nécessite des techniques hautement spécialisées et peut produire des déchets difficiles à traiter.
Quelles possibilités à l'avenir?
Lynas prévoit de mettre en service une capacité de traitement supplémentaire dans son usine de Malaisie conçue pour produire jusqu'à 1.500 tonnes de terres rares.
Si le projet se concentrait sur le dysprosium et le terbium, il pourrait représenter un tiers de la production mondiale, selon Mme Mukherjee.
L'entreprise construit également une usine au Texas, mais l'augmentation des coûts a jeté le doute sur le projet, Lynas espérant que le gouvernement américain y contribue.
L'entreprise américaine MP Materials a également fait des essais de séparation des terres rares lourdes et prévoit d'augmenter sa production cette année.
La société canadienne Aclara Resources développe quant à elle une usine de séparation des terres rares aux Etats-Unis.
L'incertitude qui pèse sur les exportations chinoises pourrait entraîner une hausse des prix, ce qui renforcerait les capacités d'expansion des petits acteurs.
"L'annonce de Lynas montre que des progrès sont possibles", souligne Mme Mukherjee. "Elle envoie un signal fort: avec la bonne combinaison de préparation technique, de demande stratégique et d'urgence géopolitique, des percées peuvent se produire."
J.Hoffmann--NRZ