

Inde: après les bombes, le retour à la frontière de la famille Sharma
Lorsque les obus pakistanais ont commencé à tomber sur la ville frontalière de Poonch, au Cachemire indien, Shruti Sharma a tout juste eu le temps d'attraper ses trois enfants et de saluer précipitamment sa belle-mère avant de prendre la fuite.
Alors quand, une semaine plus tard, elle peut enfin retrouver son quartier, l'émotion et le soulagement emportent tout. "Jamais je n'aurais imaginé revoir ma maison intacte", lâche-t-elle.
Coincé au cœur d'un entrelacs de ruelles, le logement de cette enseignante de 37 ans est resté debout. Tout autour, d'autres ont eu moins de chance, privés de fenêtres, d'un morceau de toit, voire réduits à un amas de débris.
"C'est un miracle", résume la belle-mère, Champa Devi, en couvant d'un œil inquiet son petit-fils de 2 ans, Daksh, dans sa voiture à pédales. "J'avais renoncé à l'idée de revoir mes petits-enfants".
Comme celle de Shruti Sharma, de nombreuses familles de cette ville posée le long de la "ligne de contrôle" qui sépare Inde et Pakistan n'ont eu d'autre choix que l'exode.
Le soleil n'était pas encore levé le 7 mai lorsque l'artillerie pakistanaise a ouvert le feu sur la localité.
Quelques heures plus tôt, l'Inde avait lancé une volée de missiles contre des sites pakistanais qui, selon elle, abritaient des éléments du groupe jihadiste qu'elle soupçonne d'avoir assassiné 26 civils le 22 avril à Pahalgam, à 200 km de là.
- "Réveil en panique" -
Islamabad a riposté en visant à son tour une série de cibles sur le sol indien.
Poonch a été sévèrement touchée: au moins 13 civils tués et près de 50 blessés en quelques heures.
"C'était une nuit de terreur", se souvient sobrement Shruti Sharma. A l'aube, elle s'est engouffrée dans un taxi pour se mettre à l'abri chez sa sœur dans la grande ville de Jammu, à 300 km de là.
Le périple dure 12 heures, rythmé par les appels téléphoniques et les messages l'informant de la situation à Poonch.
"Quelqu'un m'a appelé pour me dire que mon neveu avait été tué par l'explosion d'une station-service", raconte-t-elle. "Notre taxi s'y était arrêté pour le plein 10 minutes plus tôt..."
Pendant tout son séjour chez sa sœur, Shruti Sharma est restée en étroit contact avec son mari, resté à Poonch, et le reste de la famille.
"Nous étions éloignés physiquement mais le traumatisme a voyagé avec nous", décrit l'enseignante. "Très souvent, je me suis réveillée en pleine nuit, complètement paniquée".
Le retour vers Poonch sera beaucoup plus apaisé. Partie aux premières lueurs du jour, la famille prend le temps de s'arrêter en bordure d'autoroute pour petit-déjeuner. Omelette, toasts, thé pour les adultes, un soda pour les enfants.
- "Plus comme avant" -
Entre les tables, les conversations avec les autres familles qui rentrent sont sombres. Du bout des lèvres, on échange les noms des membres de la famille ou des amis morts sous les bombes.
"Vous ne pouvez pas imaginer ce que nous avons vécu", lâche Purnima, la mère de Shruti Sharma. "Poonch ne sera plus jamais comme avant".
Quelques heures de route et c'est l'heure de déjeuner. Dans la voiture qui continue de rouler, on dévore un curry de poulet et de riz préparé la veille, dans des assiettes en carton.
La frontière approche. Après avoir traversé la plaine, la route serpente dans la vallée, au milieu des villages. La maison n'est plus très loin.
"Ça fait du bien de rentrer chez soi", soupire la mère de famille. "Mais je ne peux pas m'enlever de l'esprit que quelque chose de terrible pourrait à nouveau nous arriver".
Le long de la ligne de démarcation qui sépare les deux armées, certains signalent la présence de drones, et les obus ont continué à tomber sur Poonch jusqu'au cessez-le-feu conclu samedi.
Le soleil est presque couché quand la voiture atteint enfin le quartier de la famille.
Sanjeev, le mari de Sharma, est là. Debout dans l'allée qui mène à la maison, il attend le retour des siens. Son fils Daksh saute dans ses bras. C'est l'heure du thé, le premier de la famille réunie.
"Enfin", lâche la belle-mère, Champa Devi, "je me sens revivre".
J.Hoffmann--NRZ